Petites histoires tragiques : 4
Quand l’enfant fut mort, tout le monde eu les yeux bouffis. On avait gravit une montagne pleine de ronces et chuchoté dans un coin que l’injustice frappait aux pires moments d’une vie. L’enfant venait d’avoir cinq ans, il avait deux parents, trois sœurs. L’une prit la main de la mère, ensevelie qu’elle était sous le chagrin. Les deux autres sœurs battaient des paupières, serrant les chaudes mains de leur père à l’air grave. Et ce cortège des plus minces passa devant l’assistance pour procéder à l’adieu éternel. Le visage de la mère se décomposa finalement devant celui, sans vie, de son enfant chérit. Plusieurs personnes vinrent la soutenir, pour qu’elle ne s’écroule à terre. Le père soutint que « c’était moche » et que « c’était terrible d’en rester là ». On reposa le couvercle du cercueil pour laisser à jamais l’enfant seul, main dans la main de la Mort. Ses petits pieds trébuchants par moments, il tente de suivre le couloir où on vit quand on est plus là pour les autres. Il crie de toutes ses forces pour qu’on vienne le chercher, il pleure pour supplier une mère absente qui ne viendra plus lui dire bonsoir. L’enfant sera seul, alors qu’il a plus que quiconque besoin d’être entouré. Les morts sont les vivants de mes pensées.
Le vent vivifiant nouait une écharpe autour de mon coup. J’accélérais le pas, serrant les poings au fond de mes poches. Il fallait aller vite. Mes pieds faisaient craquer le sol à point gelé. Je manquai de tomber à terre, me rattrapa à une rambarde improvisée. Je captai le regard d’un étranger, franchement amusé par l’image que je venais de lui envoyer. Je lui fit signe, lui de même, et il s’éloigna dans le froid, personnage effacé par le temps, la tempête se levant de seconde en seconde. J’appréhendais le moment où l’on m’enverrait loin d’ici. Ici sans nom, ni place, ni espace. Je voyais déjà les sourires des dirigeants me montrant d’un doigt décharné l’endroit où l’on hisserait mes bras pour mieux me maîtriser. Depuis quand n’a-t-on plus assez à se gouverner soi-même ! Chaque chose est prise en main par Le, qui compte chaque jour si on donne assez de notre cœur à faire ce qu’il nous commande de faire. Et si on ne suffit plus à ce qu’il nous commande, non il ne nous tue pas, mais nous tient près de lui pour mieux nous humilier, pour mieux voir l’homme dans sa déchéance totale. Je resserre ma veste, il faut que je me hâte. Je passe devant la caserne d’Isiacre, les hommes me regardent d’un oeil torve, ils ne réagissent plus. Je décide de ne pas rentrer. Mes pieds sont bien plantés dans le sol, je défie les buveurs en mal de goulot. Mais je n’ai plus rien à perdre. Il faut que je parte seul pour m’abandonner à moi-même, ma veste vole au-dessus de ma tête, elle claque et m’échappe enfin, arrachée par le vent terrible, et tombe près d’un clochard qui me crie après d’une voix ensommeillée, mais je n’arrive plus à entendre. Je presse le pas vers le canal, non loin du Pub. Il va falloir jouer le temps de manière astucieuse. Je prends par les bois du vallon, j’ai froid maintenant, sans ma veste pour me protéger des épais flocons. Je n’en peux plus d’échapper à tout sans arrêt. J’ai une crampe, au pied, elle me fait horriblement mal. Il faut aller plus vite, encore plus vite. La descente est proche, je saute par-dessus une bûche incongrue, dévale la pente, plus que quelques mètres, je saute, m’approche du bord de l’eau, je prend quelques pierres, les tiens dans mes bras et plonge dans le canal. Je me laisse aller vers le fond, mes yeux se ferment, mes muscles ne se battent plus, mes sens sont inhibés par le froid, et je sombre dans l’élément aqueux qui m’accueille comme aux premiers jours de mon existence. Et je sombre plus encore, laissez-moi seulement quitter ce monde de dingues…